BONHEUR ET REALITE
SONT-ILS COMPATIBLES ?

Crédit photo : Pixabay

En quelques décennies le bonheur est un sentiment qui est passé de l’intime à la surexposition.  Nous sommes passés du ressenti personnel profond à un grand déballage de recettes pour accéder au bonheur. Moi, je ne m’y retrouve pas.  C’est vrai, quoi ! Quand vous écoutez des émissions ou lisez des articles sur le bonheur que ressentez-vous ? Que si vous n’êtes pas (toujours) heureux, c’est votre faute ! Je ne suis pas sûre que ce soit le bon moteur pour être heureux…

Lorsque les aléas s’empilent comme des assiettes, qu’ils viennent nous assommer, nous brutaliser, nous dévaster la première impression c’est quand-même que la vie s’acharne à nous faire suer ! Non ?

D’où ma grande réflexion du moment : bonheur et réalité sont-ils compatibles ? Je vois bien effectivement qu’il y a ceux qui sont anéantis à la moindre contrariété et ceux que même un tremblement de terre de niveau 7 ne saurait ébranler. Qu’est-ce qui fait cette différence ?


UNE CONCEPTION EVOLUTIVE

Jusqu’au début des années 90, lorsque l’on évoquait le bonheur c’était un concept que l’on étudiait au lycée à travers les textes des philosophes comme Epicure, Spinoza, Nietzsche ou Kant. Il était rattaché à des notions de morale et de spiritualité.

A partir des années 90, la psychologie positive fait son apparition (à ne pas confondre avec la pensée positive qui est plutôt de l’ordre de l’autosuggestion). Elle vise à se débarrasser de ses habitudes et pensées négatives pour un accomplissement et un épanouissement de soi.


LE BONHEUR : UNE DICTATURE ?

C’est à partir de là que l’on a commencé à nous vendre du bonheur à toutes les sauces. A tel point qu’il y a dans certains pays des baromètres du bonheur. La tyrannie est telle que ne pas être heureux devient une pathologie. Vite, allons consulter ! Le bonheur est devenu une marchandise, une source de profit. Il y a de quoi en avoir la nausée.

Il revient ainsi, à chaque individu de prendre pleinement la responsabilité de son bonheur. En cherchant à être heureux, il va créer de la valeur (individualiste évidemment !). C’est du pain béni pour notre société de consommation : « Just do it ! ». C’est là que la quête du bonheur devient une fin en soi. Et commercialement c’est un filon inépuisable. Eh oui, puisque dès que l’on cherche à appliquer des préceptes universels, du pré-pensé « on sait ce qui est bien pour vous », évidemment que ça ne marche pas. Et si ça ne marche pas, c’est que nous sommes des billes en bonheur bien sûr ! Alors qu’est-ce qui se passe ? On continue de nous vendre des solutions à la gomme avec des articles de presse racoleurs du genre « les 5 clés pour être enfin heureux ». Et c’est sans fin…

Ce diktat, nous pousse à mettre un mouchoir sur nos émotions négatives pour que SURTOUT elles ne s’expriment pas. Et c’est comme ça que l’on en arrive à se convaincre béatement que dans toute difficulté se cache forcément une opportunité. Et quand on n’y arrive pas, on a l’impression d’être d’une nullité absolue et pour le coup, on en devient vraiment malade.

Je me suis laissée emportée par cette anesthésie émotionnelle suite à la mort de ma grand-mère il y a 5 ans. J’avais lu, vu, écouté qu’il fallait 18 mois pour « faire son deuil ». Alors ma quête du bonheur en kit faisant son œuvre, au bout de quelques mois je me suis crue déchargée de toute affliction. En fait, il n’en était rien, j’avais juste réussi à m’en convaincre alors que finalement au bout de 5 ans, elle me manque toujours terriblement. Nom d’une pipe, ce n’est pas un CDD, un Chagrin à Durée Déterminée ! Si une personne nous manque même après 20 ans, pourquoi nous infligerions-nous une mise sous scellés de notre peine ?


NOS EMOTIONS JUSTEMENT

Le pépin vous tombe sur le coin du nez, que ressentez-vous ? De la colère ou de la peur et parfois un savant mélange des deux ? Et si le Dalaï Lama venait vous dire que dans tout ça il y a malgré tout de la joie, vous avez juste envie de le noyer dans un puits !

Mais comment traverser l’émotion sans qu’elle vienne prendre les commandes ne notre gouvernail intérieur ? Comment ne pas être dévasté par les tsunamis ? Prenez une copie double, faites une marge de 3 carreaux et vous avez 4 heures !

Face à un événement difficile, il y a souvent plusieurs phases selon le degré de gravité de la situation. D’abord on se sent assommé par l’évènement, voire en état de sidération. Ensuite, vient le moment de l’incompréhension mêlée d’un sentiment d’injustice : « Pourquoi moi ? Je ne mérite pas ça ! ». Puis c’est le rejet : « Non, non, non, je refuse ce qui arrive ! ». Ici, c’est la colère qui va s’exprimer. Et là on entre en combat, en résistance au risque d’y rester et de tourner en boucle, car c’est bien connu, ce à quoi l’on résiste persiste !

Crédit photo : Pixabay


REPENSER SA VISION DU BONHEUR

Bon, ben maintenant que je me suis bien énervée sur le marketing du bonheur et que j’ai insisté sur l’importance de nos émotions, que fait-on ? On ne peut pas non plus se priver d’une démarche intérieure sous prétexte que la société de consommation veut décider pour nous et que nous nous efforçons de nous en affranchir ! Je n’ai pas de recette, alors je vais juste vous dire comment je bricole avec tout ça, histoire d’avancer. Ensuite, je serais vraiment intéressée par vos solutions à vous, si vous voulez bien me les partager.

Alors voilà…

Pour être heureux ne cherchons surtout pas à l’être ! La quête du bonheur nous en éloigne. Et si je me sens malheureuse ? J’ai deux alternatives. La première où je me dis : « t’as complètement foiré ma vieille ! » et où j’aborde mes soucis en termes de faute. La deuxième possibilité c’est raisonner ou plutôt résonner en termes de choix : « ok la situation est pourrie mais quelles sont les options envisageables, quelle décision prendre ? ».

Comme la santé est bien plus qu’une absence de maladie, le bonheur est bien plus qu’une absence de souffrance. De même que ce n’est pas parce que l’on n’est pas malheureux que l’on est heureux.

Comment aborder cette question du bonheur alors ?   En sortant d’une vision creuse de la réalité fondée sur l’avoir, source de nos tourments, de nos peines et de nos âmes malades.


DES CREATEURS

Puisque j’estime bénéfique de se détacher de la quête du bonheur comme une fin en soi, quelle vision pourrait nous porter ou même nous enthousiasmer ? Je crois que nous aurions tout intérêt à ne pas considérer la vie comme une découverte où nous nous contenterions de regarder passivement les trains passer sans jamais monter dedans. Je préfère envisager la vie comme une création. Ainsi, nous devenons les créateurs de notre réalité ! Et cela commence par notre manière de penser puisque à l’origine de toute création il y a eu une pensée.

A partir de là, cherchons à comprendre qui nous voulons être. Cette démarche va canaliser nos pensées et nos actes de manière à créer notre futur mais sans pour autant viser le résultat (ce serait contre-productif car nous serions dans l’attente). C’est ainsi que notre créativité va pouvoir s’exprimer. Nous allons poser des actions justes. C’est tellement plus fiable et enthousiasmant que de se barricader derrière le concept du bonheur coûte que coûte.

Un exemple me touche beaucoup, c’est celui de Mathias Malzieu du groupe Dionysos.
En 2013 il est atteint d’une aplasie médullaire et doit subir une greffe de moelle osseuse. Il est resté plusieurs mois en chambre stérile. Ne pouvant pas sortir, il a fait venir la création à lui. Et il dit ceci :

« je me suis débrouillé tout le temps pour ne jamais devenir un malade. Je n’ai jamais été un malade. Je suis resté moi-même. Moi-même avec un problème de santé à régler.  Aujourd’hui, je me sens fabuleusement bien. […] Ma plus belle victoire c’est d’être resté moi-même ».

Voir sa vidéo (durée : 2 minutes) : https://www.youtube.com/watch?time_continue=2&v=zumpCXB6Ms4


« J’AI BESOIN DE TROUVER UN SENS AUX CHOSES »

Je me souviens d’une interview de Jean d’Ormesson. Le journaliste lui demandait comment il faisait pour avoir l’air toujours heureux. Il a répondu que c’était « la moindre des choses car une vie c’est tellement dur ».



Cet entretien m’a fait beaucoup réfléchir.  Comment sourire à la vie avec sincérité malgré les épreuves ?  C’est là que j’ai compris que pour moi, cela passait par un besoin de trouver du sens aux choses. C’est ce qui me permet non seulement de ne pas sombrer mais de me sentir plutôt heureuse de vivre. Dernièrement, un mauvais balayage au karaté m’a causé une entorse au genou. J’ai besoin de me dire que cette période d’immobilité sportive a finalement du bon car elle me permet d’avancer sur d’autres sujets importants. Peu importe que le sens que je donne aux situations soit réel ou pas, on s’en fout. Ce qui compte c’est que ça me permette d’avancer avec un minimum de frustration et un maximum de joie (je n’ai pas dit « une joie maximum », n’exagérons rien quand-même !).

Et vous ? Qu’est-ce qui vous aide pour cheminer sans trop d’encombre dans votre vie ?


ET L’AUTRE ?

On a souvent tendance à faire l’amalgame entre le bien-être et le bonheur. Pourtant, tandis que le bien-être est auto-centré, le bonheur lui, est collectif car pour être durable il inclut l’autre.

Quand on confond les deux, on attend de se sentir bien pour espérer un jour accéder au bonheur. On va aller ainsi vers une démarche individualiste de « développement personnel ».  Pourtant, le mal-être, l’inconfort ne sont pas incompatibles avec le bonheur, puisqu’ils sont souvent les initiateurs du changement. Mieux vaut avoir un coup de mou entouré et tourné vers les autres que d’être au top du bien-être ou du développement personnel mais tout seul !


ACCEPTER ENCORE ET TOUJOURS

Un maître bouddhiste parle « d’acceptation joyeuse de la réalité ». Mais comment parvenir à cette posture d’acceptation profonde lorsqu’une tornade s’abat sur vous ?

L’acceptation revient souvent dans mes articles car quel que soit le sujet, elle reste la pierre angulaire de notre édifice intérieur.

D’abord, acceptons nos fêlures, nos peines et toutes nos casseroles depuis l’enfance. Et après apprenons à nager en eau trouble et ce sera déjà un bon début.

J’aime beaucoup la simplicité et le réalisme d’Etienne Daho quand il dit :

« Ce sont les premières années qui vous construisent. Après, on se démerde et on fait ce qu’on peut ».



Accepter un événement, aussi douloureux soit-il, c’est s’ouvrir à une infinité de possibilités. Ca ne nous empêche pas de râler, de pleurer un bon coup, le temps qu’il faut pour exprimer et traverser la vague d’émotions qui nous submerge. Mais n’en restons pas là. Ensuite, acceptons ce qui advient. Mais à partir de quand, pouvons-nous être certains que nous acceptons vraiment ce qui nous arrive ? Quand nous disons : « ok, et maintenant qu’est-ce que je mets en place ? ». Alors là, le créateur qui trépignait d’impatience à l’intérieur de nous va s’en donner à cœur-joie !


TOUJOURS UNE PISTE A EXPLORER

Quelle que soit la tourmente, une fois passé en mode créativité, il est très important d’avoir toujours sous le coude une piste à explorer. « Je vais essayer cette solution et si besoin je pourrais également tenter cette autre possibilité ». C’est ce qui permet de se détacher de l’objectif ultra ambitieux, du coup très décourageant, de l’atteinte du résultat. Le sommet de la montagne, on sait où il est, mais on s’en fiche. On fait un premier pas, puis un autre est ainsi de suite. On évite ainsi le mode guerrier qui part au combat, qui nous stresse et nous pompe notre énergie. En revanche, on n’oublie pas de temps en temps d’apprécier le chemin parcouru et on continue d’avancer tranquillement. Et mince alors, soyez fier de ce que vous faites, de ce que vous êtes !

Alors maintenant, si nous acceptions voire supportions l’idée que la vie est belle sans avoir à rajouter « malgré tout » ?